18 2 – 3
O Fabricius! qu’eût pensé votre grande âme, si, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes? Dieux, eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine? quel est ce langage étranger? quelles sont ces moeurs efféminées? que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices? Insensés, qu’avez-vous fait? Vous, les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus! Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent! C’est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires et des histrions que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l’Asie! Les dépouilles de Carthage sont la proie d’un joueur de flûte! Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres; brisez ces marbres, brûlez ces tableaux, chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent.
Que d’autres mains s’illustrent par de vains talents; le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde et d’y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée; il n’y entendit point cette éloquence frivole, l’étude et le charme des hommes futiles.
Que vit donc Cynéas de si majestueux? 0 citoyens! il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts, le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel: l’assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre.