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Si la culture des sciences est nuisible aux qualités guerrières, elle l’est encore plus aux qualités morales.
C’est dès nos premières années qu’une éducation insensée orne notre esprit et corrompt notre jugement.
Je vois de toutes parts des établissements immenses, où l’on élève à grands frais la jeunesse, pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs.
Vos enfants ignoreront leur propre langue, mais ils en parleront d’autres qui ne sont en usage nulle part; ils sauront composer des vers qu’à peine ils pourront comprendre; sans savoir démêler l’erreur de la vérité, ils posséderont l’art de les rendre méconnaissables aux autres par des arguments spécieux: mais ces mots de magnanimité, d’équité, de tempérance, d’humanité, de courage, ils ne sauront ce que c’est; ce doux nom de patrie ne frappera jamais leur oreille; et s’ils entendent parler de Dieu, ce sera moins pour le craindre que pour en avoir peur.
J’aimerais autant, disait un sage, que mon écolier eût passé le temps dans un jeu de paume, au moins le corps en serait plus dispos.
Je sais qu’il faut occuper les enfants, et que l’oisiveté est pour eux le danger le plus à craindre.
Que faut-il donc qu’ils apprennent? Voilà certes une belle question? Qu’ils apprennent ce qu’ils doivent faire étant hommes, et non ce qu’ils doivent oublier.
Nos jardins sont ornés de statues et nos galeries de tableaux.
Que penseriez-vous que représentent ces chefs-d’oeuvre de l’art exposés à l’admiration publique? Les défenseurs de la patrie? ou ces hommes plus grands encore qui l’ont enrichie par leurs vertus? Non.
Ce sont des images de tous les égarements du coeur et de la raison, tirées soigneusement de l’ancienne mythologie, et présentées de bonne heure à la curiosité de nos enfants, sans doute afin qu’ils aient sous leurs yeux des modèles de mauvaises actions, avant même que de savoir lire.
D’où naissent tous ces abus, si ce n’est de l’inégalité funeste introduite entre les hommes par la distinction des talents et par l’avilissement des vertus? Voilà l’effet le plus évident de toutes nos études, et la plus dangereuse de toutes leurs conséquences.
On ne demande plus d’un homme s’il a de la probité, mais s’il a des talents; ni d’un livre s’il est utile, mais s’il est bien écrit.
Les récompenses sont prodiguées au bel esprit, et la vertu reste sans honneur.
Il y a mille prix pour les beaux discours, aucun pour les belles actions.
Qu’on me dise cependant si la gloire attachée au meilleur des discours qui seront couronnés dans cette Académie est comparable au mérite d’en avoir fondé le prix.