5 • Extrait 2
Mais, ô bon Dieu ! que peut être cela? Comment dirons-nous que cela s’appelle ? quel malheur est celui-là? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés ; n’ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul ; non pas d’un Hercule ni d’un Samson, mais d’un seul hommeau, et le plus souvent le plus lâche et femelin de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette ! Appellerons-nous cela lâcheté? dirons-nous que ceux qui servent soient couards et recrus? Si deux, si trois, si quatre ne se défendent d’un, cela est étrange, mais toutefois possible; bien pourra-l’on dire, à bon droit, que c’est faute de cœur.
Mais si cent, si mille endurent d’un seul, ne dira-l’on pas qu’ils ne veulent point, non qu’ils n’osent pas se prendre à lui, et que c’est non couardise, mais plutôt mépris ou dédain? Si l’on voit, non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes, n’assaillir pas un seul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela? est-ce lâcheté? Or, il y a en tous vices naturellement quelque borne, outre laquelle ils ne peuvent passer : deux peuvent craindre un, et possible dix; mais mille, mais un million, mais mille villes, si elles ne se défendent d’un, cela n’est pas couardise, elle ne va point jusque-là; non plus que la vaillance ne s’étend pas qu’un seul echelle une forteresse, qu’il assaille une armée, qu’il conquête un royaume.
Donc quel monstre de vice est ceci qui ne mérite pas encore le titre de couardise, qui ne trouve point de nom assez vilain, que la nature désavoue avoir fait et la langue refuse de nommer?